Comment rester romantique à propos du baseball, Printemps-été 2018
EAN13
9782897593520
Éditeur
Atelier 10
Date de publication
Collection
Nouveau Projet
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Comment rester romantique à propos du baseball

Printemps-été 2018

Atelier 10

Nouveau Projet

Livre numérique

  • Comment rester romantique à propos du baseball

    Aide EAN13 : 9782897593520
    • Fichier PDF, avec Marquage en filigrane
    2.49
Pour tout amateur des Expos de Montréal, l’été 1994 a été une cruelle leçon
d’injustice. La puissante formation montréalaise dominait alors joyeusement
ses adversaires et se dirigeait tout droit vers le titre de la division Est de
la Ligue nationale de baseball. Une équipe de rêve. Pas une équipe dont on
avait eu le temps de se tanner, comme une certaine équipe d’un sport sur
glace. Pas comme les maudits Braves d’Atlanta, qui s’écroulaient chaque année
durant les séries. Impossible, cet été-là, de ne pas avoir été emballé par ce
qui s’en venait, par le potentiel de ce groupe de jeunes vedettes montantes.
Larry Walker, si intimidant au bâton comme au champ droit. Marquis Grissom,
qui aurait pu couvrir tout le champ extérieur à lui seul. Pedro Martínez,
l’air d’avoir huit ans et demi, qui dominait tous les frappeurs avec une balle
rapide irréelle. John Wetteland, si confiant en fin de match, et dont les
fesses bombées ont sans doute suscité mes premières réflexions sur la binarité
du genre et l’hétéronormativité. Moisés Alou, qui terminera la saison avec une
formidable moyenne au bâton de .339, tout juste un an après avoir subi l’une
des pires blessures de l’histoire du sport. Et puis le 11 aout, à l’aube des
séries éliminatoires, les joueurs du baseball majeur ont décidé de faire la
grève. La saison a pris fin prématurément et il a fallu tout arrêter. Cesser
de penser à ce qui s’en venait. De rêver aux Séries mondiales. D’écouter
Rodger Brulotte décrivant—que dis-je, hurlant—les exploits de Nos Amours.
D’espérer que le Québec pourrait un jour être moins obsédé par le hockey.
L’année suivante, la grève terminée, les vedettes des Expos étaient presque
toutes parties gagner d’immenses salaires chez l’Ennemi. Une grande blessure
pour le garçon fou de baseball que j’étais. Le genre de blessure qu’on ne
pense pas si profonde, mais qui nous façonne. J’enseigne désormais la
philosophie politique à l’université. Rousseau, Rawls, les théories de la
justice sociale, pourquoi vit-on dans un monde aussi injuste?, ce genre de
choses. Mes étudiants me demandent souvent, l’air d’avoir trouvé la question
qui pourrait détruire l’ensemble de ma carrière: «Mais Monsieur, qu’est-ce que
c’est exactement, l’injustice? Comment la définir? C’est pas subjectif, tout
ça?» Avant de répondre, il m’arrive parfois de penser aux Expos. L’injustice,
c’est 1994.
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