• Conseillé par (Libraire)
    14 mars 2019

    Magistral et inoubliable.

    En racontant le destin d’un père et d’un fils tués à 10 ans d’intervalle, John Edgar Wideman dans son récit « Ecrire pour sauver une vie », raconte la malédiction d’être noir aux Etats Unis. Magistral et inoubliable.

    Cimetière américain Oise-Aisne. Parcelle E. Quatre vingt seize tombes, sous de petites pierres plates. Peu nombreuses à côté des 6012 tombes marquées de croix des parcelles A à D abritant des soldats morts au combat. Parcelle E, cachée derrière un bosquet, les soldats enterrés dans une boîte de 10 centimètres sur 10 sont morts avec « déshonneur ». Sous le numéro 73 demeure Louis Till, noir pendu à l’âge de 23 ans pour viol et meurtre pendant la campagne d’Italie en 1945.
    C’est sur cette « tombe » que se rend John Edgar Wideman, l’un des plus grands écrivains américains actuels, pour sauver la vie de Louis Till, la sauver de l’obscurité, du mensonge, de la honte: « L’Amérique a oublié Louis Till, sans problème. C’est moi qui n’arrive pas à oublier ».

    Sauver Louis Till mais aussi son fils, Emmett Till, assassiné sauvagement à l’été 1955, à l’âge de 14 ans, défiguré par deux garçons, reprochant à leur victime d’avoir sifflé une jeune fille blanche dans la rue. Deux assassins acquittés par un jury du Mississippi composé de douze hommes blancs, jugement déclencheur du Mouvement des droits civiques. Tel père, tel fils. Deux logiques implacables se cumulent miraculeusement pour n’en former qu’une seule: préserver la vie des blancs.
    Voulant écrire d’abord un roman sur la courte vie d’Emmett Till, Wideman renonce à ce projet pour ce « récit » qui mélange enquête à partir des pièces du « procès » de Louis Till et souvenirs de sa propre enfance.
    La réussite de ce magnifique ouvrage est de mêler ces narrations dans un texte unique qui au delà d’une réhabilitation de deux hommes raconte d’une manière implacable la condition des noirs américains depuis toujours. Avec une prose inoubliable qui martèle l’évidence parfois par la répétition des mots, dans ce camaïeu chronologique, se dessine une image saisissante de la société américaine qui se divise entre des hommes, blancs, et des sous-hommes, noirs.

    Quatre vingt trois des quatre vingt treize corps enterrés à l’abri des regards de la parcelle E sont des noirs. A la lecture ce ce livre, on comprend implacablement les raisons de cette proportion. Et on en sort grandi car moins ignorant. Et peut être plus intelligent.

    Eric Rubert.